top of page

Des milices coloniales à une armée nationale

L’histoire de l’armée canadienne commence bien avant que le terme « Armée canadienne » n’existe officiellement. Dès le XVIIᵉ siècle, la défense des colonies de Nouvelle-France et des colonies britanniques repose sur un mélange de troupes métropolitaines (françaises puis britanniques) et de milices locales. Ces milices sont composées de colons qui, quelques jours par année, s’entraînent au maniement des armes pour protéger leur paroisse ou leur village.


Durant la Conquête et la guerre de 1812, ces milices, appuyées par les alliés autochtones, jouent un rôle crucial pour défendre le territoire face aux invasions américaines. Elles constituent le premier noyau d’une culture militaire proprement canadienne : enracinée dans le territoire, mais intégrée à de grands empires.



Après la Confédération : naissance d’un « armée-milice »


Avec la Confédération en 1867, la défense du nouveau Dominion du Canada devient une responsabilité canadienne. Les garnisons britanniques se retirent progressivement, à l’exception de quelques bases comme Halifax et Esquimalt.


Ottawa met alors sur pied deux composantes :


la Milice active permanente (Permanent Active Militia), petite force professionnelle à temps plein ;


la Milice active non permanente (Non-Permanent Active Militia), composée de citoyens-soldats qui s’entraînent à temps partiel.



Cette structure d’« armée-milice » permet de disposer d’un cadre d’officiers et de sous-officiers, tout en limitant les coûts. À la fin du XIXᵉ siècle, les miliciens canadiens participent à la répression des rébellions de l’Ouest, puis à la guerre d’Afrique du Sud (guerre des Boers), première participation significative du Canada à un conflit outre-mer sous son propre drapeau.



La Première Guerre mondiale : le baptême du feu


Lorsque éclate la Première Guerre mondiale en 1914, le Canada mobilise une nouvelle force spécialement destinée au front européen : le Corps expéditionnaire canadien (Canadian Expeditionary Force – CEF). Formé à partir de volontaires et de cadres issus de la milice, le CEF compte plus de 620 000 enrôlés, dont environ 424 000 servent outre-mer.


Les divisions canadiennes se distinguent sur plusieurs champs de bataille majeurs : Ypres, la Somme, Passchendaele et surtout la crête de Vimy, en avril 1917, devenue un symbole puissant de l’émergence du Canada comme nation. Au prix de près de 60 000 morts, le CEF acquiert la réputation d’une force bien entraînée, innovatrice et efficace, que certains historiens décrivent comme l’une des formations de corps d’armée les plus redoutables de la fin du conflit.



Entre-deux-guerres et Seconde Guerre mondiale


Après 1918, le CEF est dissous, mais ses traditions et honneurs de bataille sont transférés aux régiments de milice. Le Canada réduit drastiquement ses dépenses militaires, tout en maintenant une petite armée permanente et un réseau de régiments de réserve.


En 1939, la déclaration de guerre contre l’Allemagne entraîne une nouvelle mobilisation. Une Force active du service canadien est formée, qui deviendra l’« Armée canadienne (outre-mer) ». Les Canadiens participent à la défense de Hong Kong, au raid sur Dieppe, à la campagne d’Italie, au débarquement de Normandie et à la libération des Pays-Bas.


Durant ce conflit, l’Armée passe rapidement d’un petit cadre de temps de paix à une force moderne comprenant plusieurs divisions blindées et d’infanterie, appuyées par l’artillerie, le génie et les services logistiques. C’est aussi en 1940 que le terme « Armée canadienne » devient la désignation officielle des forces terrestres.



Guerre froide, Corée et naissance du maintien de la paix


Au lendemain de 1945, le Canada conserve une armée réduite mais bien équipée, désormais intégrée aux alliances occidentales. Des unités canadiennes stationnent en Europe dans le cadre de l’OTAN, pour dissuader une éventuelle attaque soviétique.


De 1950 à 1953, le Canada envoie une brigade en Corée, au sein des forces de l’ONU. Plus de 26 000 militaires y servent, dont 516 ne reviendront pas. Cette période marque le début d’une nouvelle vocation : le maintien de la paix. Dans les années 1950-1960, des soldats canadiens sont déployés en Égypte, à Chypre et ailleurs, contribuant à forger l’image internationale d’un Canada médiateur et pacificateur.



La grande réforme de 1968 : unification des Forces canadiennes


Dans les années 1960, le gouvernement fédéral entreprend une réforme majeure : l’unification des trois armées (marine, armée de terre et force aérienne) en une seule entité, les Forces armées canadiennes. La loi de réorganisation entre en vigueur le 1ᵉʳ février 1968.


L’Armée canadienne perd alors son identité institutionnelle au profit de « Force mobile », puis « Commandement des Forces terrestres ». Toutefois, dans l’usage courant – et même dans certains documents officiels – on continue de parler de « Canadian Army ». En 2011, le gouvernement rétablit officiellement les appellations historiques : « Armée canadienne », « Marine royale canadienne » et « Aviation royale canadienne ».



Après la guerre froide : Balkans, Afghanistan et nouvelles missions


La fin de la guerre froide ne signifie pas la fin des engagements pour l’Armée canadienne. Dans les années 1990, les soldats canadiens sont déployés dans les Balkans (Bosnie, Kosovo) et participent à plusieurs missions de l’ONU et de l’OTAN, souvent dans des contextes humanitaires et de gestion de crises complexes.


Après les attentats du 11 septembre 2001, le Canada s’engage en Afghanistan. De 2001 à 2014, plus de 40 000 membres des Forces canadiennes servent dans ce théâtre, principalement dans la région de Kandahar. Cent cinquante-huit soldats y perdent la vie, tandis que de nombreux autres reviennent avec des blessures physiques ou psychologiques durables.


Cette mission transforme profondément l’armée : retour à des opérations de combat soutenues, adaptation à la contre-insurrection, importance accrue de la coopération interarmées (air, terre, forces spéciales) et prise de conscience des enjeux liés au soutien aux vétérans.



Une armée au service de la société canadienne


Parallèlement aux engagements internationaux, l’Armée canadienne est régulièrement appelée à intervenir sur le territoire national. On la voit à l’œuvre lors des grandes inondations au Manitoba et au Québec, de la crise du verglas en 1998, lors d’opérations de déneigement exceptionnelles ou encore pendant la pandémie de COVID-19, quand des militaires sont déployés dans des centres de soins de longue durée en Ontario et au Québec.


Ces interventions illustrent un aspect souvent méconnu de sa mission : soutenir les autorités civiles lorsqu’une situation dépasse leurs capacités. Qu’il s’agisse de monter des digues de sable, d’évacuer des sinistrés ou de fournir une logistique d’urgence, l’Armée joue un rôle clé dans la résilience des communautés.



L’Armée canadienne aujourd’hui : héritage et défis


Aujourd’hui, l’Armée canadienne s’appuie sur un effectif composé de militaires de la Force régulière et de la Réserve, répartis en brigades mécanisées, légères et de soutien. Elle dispose de blindés modernes, de systèmes de communication avancés et de capacités spécialisées (forces spéciales, ingénieurs, renseignement, cyberdéfense).


Mais ses défis sont nombreux : recrutement et rétention du personnel, modernisation des équipements, adaptation aux nouvelles menaces (cyberattaques, drones, désinformation), et intégration réelle de la diversité canadienne, tant linguistique que culturelle. L’armée cherche aussi à tirer les leçons de missions comme l’Afghanistan, notamment en matière de santé mentale et de soutien aux familles de militaires.



Conclusion : une institution en constante évolution


De la milice coloniale aux opérations de haute technologie, l’histoire de l’Armée canadienne est celle d’une institution qui se transforme au rythme des besoins du pays et des crises du monde. Elle a participé à des batailles fondatrices, contribué au maintien de la paix, soutenu les populations en détresse et représenté le Canada sur tous les continents.


Derrière l’uniforme vert, on retrouve des générations de citoyennes et citoyens qui ont choisi de servir. Comprendre l’évolution de cette armée, c’est mieux saisir une part essentielle de l’histoire canadienne : celle d’un pays qui, malgré sa réputation pacifique, a souvent dû répondre présent lorsque la sécurité, la liberté ou la dignité humaine étaient menacées.

Commentaires


bottom of page